J’ai mis un an a lire ce livre. Non pas qu’il ait été ennuyeux ou dépourvu d’intérêt. Plutôt tout le contraire. J’ai découvert plus qu’un philosophe, un poète, capable de transporter le lecteur dans des aventures spirituelles pendant près de 400 pages.
Passés les premiers chapitres, a la multiple lecture desquels, on tente tant bien que mal de s’habituer a la narration de Zarathoustra, on entre dans un monde incroyable, dans lequel un philosophe ermite, recherchant la solitude a tout pris, revient sur ses rencontres avec l’Homme et la Nature et s’attache, avec une impitoyable intransigeance, de démontrer pourquoi, en quoi, et par quoi, l’homme se doit d’être dépassé.
Dans le post ci-dessous, j’ai recopie pour vous mes extraits préférés, et pour pénétrer encore plus dans le monde de l’auteur, je vous suggère de lire ces extraits avec en fond sonore l’opéra Ring der Niebelungen de Richard Wagner, dont Nietzsche était fasciné.
Texte d’une richesse quasi-inépuisable, les idées qu’il contient sont puissantes, dérangeantes et parfois se révèlent au lecteur avec une évidence rare, mais parfois aussi se contredisent violemment.
Ce livre a été pour moi une véritable expérience, littéraire et philosophique que je recommande a quiconque osera rejoindre Zarathoustra sur les plus hautes cimes.
Voici quelques extraits parmi mes préférés:
Du blême criminel
“De maintes façons vos gens de bien me donnent la nausée, et non, en vérité, par ce qu’ils ont de méchant. Je voudrais bien qu’ils eussent un délire par lequel ils périraient, comme ce blême criminel.
En vérité, je voudrais que leur délire eut pour nom vérité, ou fidélité, ou justice; mais ils ont leur vertu pour vivre mieux et dans un pitoyable agrément.
Je suis un parapet au bord du fleuve: me saisisse qui peut me saisir! Mais je ne suis votre béquille.”
Ainsi parlait Zarathoustra.
L’enfant au miroir
“La-dessus revint Zarathoustra sur les montagnes et dans la solitude de sa caverne, et il se tint a l’écart des hommes, attendant comme un semeur qui a semé son grain. Mais pour ceux qu’il aimait son âme s’emplit d’impatience et de désir, car il avait encore beaucoup a leur donner. Le plus pesant est, en effet de clore par amour la main ouverte et, prodigue, de pudeur garder.”
De la domination de soi
“Tout ce qui est, d’abord vous le voulez rendre pensable, car vous doutez, avec juste méfiance, que pensable ce soit déjà. Mais tout ce qui est doit aussi s’adapter et se plier! Ainsi le veut votre vouloir. Se doit aplatir tout ce qui est, et a l’esprit se soumettre, comme son miroir et son reflet. Et c’est la votre entière volonté, vous les plus sages, une volonté de puissance; et même quand vous parlez de bien et de mal, et d’estimations de valeurs! Ce monde devant lequel vous vous pouvez agenouiller, encore le voulez créer: c’est la votre espérance ultime et votre ultime ivresse.”
(…)
“Tout ce qui vit est un obéissant. Et c’est la deuxième chose: reçoit commandement qui ne se peut a lui-même obéir. Telle est du vivant la manière.”
Du pays de la culture
“Mais pays ne trouvai nulle part: errant je suis en toute ville et, devant toutes portes, une séparation. Me sont étrangers et dérision ces contemporains vers qui mon cœur naguère me poussait: et je suis exile des patries et des terres maternelles. Ainsi je n’aime plus que le pays de mes enfants, l’inexploré, au plus lointain des mers; a ma voile c’est celui-la que je commande de chercher et de chercher. Par mes enfants me veux racheter d’être l’enfant de mes pères, et par tout avenir veux racheter – ce présent!”
Des érudits
“Car c’est la vérité que de la maison des érudits me suis enfui et que derrière moi j’ai fait claquer la porte. Mon âme trop longtemps a leur table s’était assise avidement; point je ne leur ressemble; au savoir ne suis dresse comme au casse-noix! J’aime la liberté et l’air qui souffle sur une Terre fraiche; sur des peaux de bœufs mieux encore que sur leurs honneurs et respectabilités. Je suis trop ardent et de mes propres pensées trop consume; souvent j’en ai le souffle presque coupe. Lors il me faut gagner l’air libre et fuir tous ces poussiéreux cabinets.”
Le retour au pays
“A vivre parmi les hommes, on désapprend les hommes; chez tous les hommes il est bien trop de premiers plans;- la que feront des yeux qui voient au loin, qui au loin cherchent?”
(…)
“En fossoyant deviennent malades les fossoyeurs. Sous de vieux décombres dorment de vilains remugles. On ne doit fouiller la vase. Sur des montagnes on doit vivre. Avec de béates narines, je respire la liberté de la montagne! Libre est enfin mon nez de l’odeur de tout ce qui est humain! Comme de vins mousseux par l’air vif chatouillée, elle éternue, mon âme, – elle éternue, et de jubilation s’écrie: A ta santé!
Ainsi parlait Zarathoustra.”
De l’esprit de pesanteur
“Mon langage – est du peuple; trop cru je parle, et a cœur trop ouvert, pour les lapins angoras. Et plus étrange encore sonne ma parole pour tous poissons d’encrier et tous renards de plume.”
D’anciennes et de nouvelles tables
“Point ne voleras! Point ne tueras!” – saintes jadis furent proclamées de telles paroles; devant elles on ployait genoux et nuques, et l’on quittait ses chaussures. Mais je vous demande: ou vit-on jamais de meilleurs voleurs et tueurs au monde que ne le furent telles saintes paroles? En toute vie elle-même ne sont – vol et tuerie? Et lorsque saintes l’on proclama de telles paroles, ne fut ainsi la vérité elle-même – frappée a mort? Ou bien fut-ce un prêche de mort que de proclamer saint tout ce qui de la vie était contradiction et refus? – O mes frères, brisez, me brisez donc ces vieilles tables!”
(…)
“O mes frères, non derrière vous doit regarder votre noblesse, mais au-delà de vous! de tous les pays de vos pères et de vos aïeux devez être chassés! C’est le pays de vos enfants que vous devez aimer: soit cet amour votre nouvelle noblesse, – l’inexploré en l’océan le plus lointain! C’est ce pays que j’ordonne a votre voile de chercher et de chercher! D’être enfants de vos pères, par vos enfants vous vous devez racheter: tout passe devez ainsi racheter! Cette table nouvelle, je la dresse au-dessus de vous!”
De l’homme supérieur
“Que vous ayez désespéré, en cela il est beaucoup a honorer. (…) Ce qui est de féminine sorte, ce qui est ne de servile race, singulièrement le populacier salmigondis voila ce qui se veut a présent le maitre de toute humaine destinée, – o nausée, nausée, nausée! (…) O vous, les hommes supérieurs, me surmontez les petites vertus, les petites prudences, les considérations de grain de sable, les grouillements de fourmilière, le pitoyable agrément, “l’heur des plus nombreux”!- Et plutôt désespérez que de vous dévouer a eux.”